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Il y avait un

petit square au centre d’Ogunquit – vieux canon datant de la guerre de

Sécession, monument aux morts, le décor habituel. Quand Gus Dinsmore mourut, Frannie

Goldsmith s’y rendit, s’assit au bord de la mare aux canards, jetant distraitement

des pierres dans l’eau. Les vaguelettes couraient sur l’eau paisible, puis se

brisaient en atteignant les nappes de nénuphars qui bordaient le bassin. C’était

avant-hier qu’elle avait emmené Gus chez les Hanson, au bord de la plage, craignant

que si elle attendait davantage Gus ne puisse marcher et qu’il lui faille se

contenter pour « dernière demeure », comme auraient dit ses ancêtres,

de sa petite guérite torride, près du parking de la plage.

Elle avait cru que Gus allait

mourir dans la nuit. Il avait beaucoup de fièvre et il délirait. Il était tombé

deux fois du lit et s’était mis à errer dans la chambre de M. Hanson, renversant

meubles et bibelots, tombant à genoux, se relevant encore. Il appelait des gens

qui n’étaient pas là, leur répondait, les regardait avec une expression qui

allait de l’hilarité au désespoir, tant et si bien que Frannie avait commencé à

croire que les compagnons invisibles de Gus existaient en chair et en os, que c’était

elle le fantôme. Elle avait supplié Gus de se remettre au lit, mais elle n’existait

pas pour lui. Et, si elle ne s’était pas écartée de son chemin, il l’aurait

certainement renversée et piétinée sans s’en rendre compte.

Finalement, il était tombé sur le

lit, inconscient, hors d’haleine. Et Fran avait cru que la fin était proche. Mais

le lendemain matin, quand elle était allée le voir, Gus était assis dans le lit

et lisait un roman de cow-boys qu’il avait trouvé sur une étagère. Il l’avait

remerciée de s’être occupée de lui et, très gêné, avait ajouté qu’il espérait

bien ne pas avoir dit de grossièretés ni fait de bêtises la nuit précédente.

Elle l’avait rassuré. Gus avait

alors regardé d’un air sceptique la chambre où régnait un désordre

indescriptible et lui avait dit qu’elle était bien gentille de le prendre comme

ça. Elle avait préparé une soupe qu’il avait mangée de bon appétit et, quand il

s’était plaint d’avoir du mal à lire sans ses lunettes qu’il avait cassées

lorsqu’il avait pris son tour de garde à la barricade de la sortie sud de la

ville la semaine précédente, elle avait pris le livre (malgré ses protestations)

et lui avait lu quatre chapitres du roman. L’auteur était une femme qui

habitait un peu plus au nord, à Haven. Noël sanglant, c’était le titre

du livre. Le shérif John Stoner semblait avoir bien des difficultés avec les voyous

de Roaring Rock – pire, il ne trouvait pas de cadeau de Noël pour sa jolie et

charmante jeune femme.

Fran était repartie le cœur un

peu plus léger croyant que Gus allait peut-être guérir. Mais, la veille au soir,

son état avait empiré. Il était mort à huit heures moins le quart ce matin, il

y avait de cela une heure et demie seulement. Il avait gardé toute sa tête

jusqu’au bout, mais sans comprendre la gravité de son état. Il lui avait dit qu’il

aurait bien aimé prendre un ice-cream soda le jour de la fête nationale, le 4 juillet,

avec son père et ses frères, à la fête foraine à Bangor. Il n’y avait plus d’électricité

à Ogunquit – les pendules électriques montraient que le courant avait été coupé

à vingt et une heures et dix-sept minutes le 28 juin – et il n’y avait plus de

glace en ville. Elle s’était demandé si quelqu’un n’avait pas branché une

génératrice de secours sur un congélateur. Elle avait même pensé aller poser la

question à Harold Lauder. Mais, juste à ce moment, les râles de l’agonie

avaient commencé. Ils avaient duré près de cinq minutes, cinq minutes durant

lesquelles Fran avait tenu la tête de Gus en essuyant avec une serviette les

épaisses mucosités qui coulaient de sa bouche.

Quand tout avait été fini, Frannie

l’avait recouvert d’un drap propre et l’avait laissé sur le lit du vieux Jack

Hanson d’où l’on voyait la mer. Puis elle était allée rêvasser au petit square

en faisant ricocher des pierres sur l’eau de la mare. Inconsciemment, elle

comprenait qu’il valait mieux ne pas trop penser. Ce n’était plus cette étrange

apathie qui s’était emparée d’elle le jour de la mort de son père. Lentement, elle

avait refait surface. Elle était allée chercher un rosier chez Nathan, le

fleuriste, et l’avait planté soigneusement au pied de la tombe de Peter. Il

allait sûrement prendre très bien, comme aurait dit son père. Et maintenant, ne

plus penser à rien la reposait un peu, après avoir assisté aux derniers moments

de Gus. Non, ce n’était pas le prélude à la folie qu’elle avait connu plus tôt,

comme si elle avait traversé une sorte de tunnel gris, fétide, fourmillant de

formes invisibles mais bien présentes, un tunnel qu’elle ne voulait jamais plus

traverser.

Mais elle allait bientôt devoir

penser à ce qu’elle allait faire plus tard, et donc à Harold Lauder. Pas

seulement parce que elle et Harold étaient maintenant les deux seuls survivants,

mais parce qu’elle ne voyait absolument pas ce que Harold pourrait devenir si

quelqu’un ne s’occupait pas de lui. Elle n’avait peut-être pas l’esprit particulièrement

pratique, mais à côté de Harold… Elle ne l’aimait toujours pas beaucoup, mais

il avait au moins essayé de faire preuve de tact et il ne s’était pas trop mal

tenu tout compte fait. Plutôt bien même, à sa manière un peu bizarre.

Harold l’avait laissée seule

depuis qu’ils s’étaient vus quatre jours plus tôt, sans doute pour la laisser

pleurer la mort de ses parents. Mais elle l’avait vu errer de temps en temps

dans les rues, au volant de la Cadillac de Roy Brannigan. Et deux fois, quand

le vent était favorable, elle avait entendu de la fenêtre de sa chambre le crépitement

de sa machine à écrire – et le fait que le silence soit assez profond pour qu’elle

puisse entendre ce bruit, alors que la maison des Lauder se trouvait à plus de

deux kilomètres, lui avait fait comprendre que tout ce qui était arrivé n’était

pas un rêve. Elle avait été un peu étonnée que Harold ait mis la main sur la

Cadillac, mais qu’il n’ait pas pensé à remplacer sa vieille machine par un

modèle électrique, plus rapide et silencieux.

Il est vrai qu’une machine

électrique ne lui aurait pas été très utile, pensa-t-elle en levant les yeux. Les

glaces et les machines à écrire électriques étaient des choses du passé. Elle

sentit son cœur se serrer. Comment une telle catastrophe avait-elle pu se

produire en deux semaines à peine…

Il y avait certainement d’autres

survivants, quoi qu’en dise Harold. Le système avait craqué, mais

temporairement. Il suffisait de regrouper les autres et de recommencer. Elle ne

pensa pas à se demander pourquoi un « système » lui paraissait si

nécessaire pas plus qu’elle ne s’était demandé pourquoi elle devait se sentir

responsable de Harold. C’était ainsi. Le système était dans l’ordre des choses.

Elle sortit du square et

descendit lentement la grand-rue en direction de la maison des Lauder. Il

faisait déjà chaud, mais un vent frais soufflait de la mer. Tout à coup, elle

eut envie de marcher sur la plage, de ramasser un joli morceau de varech et de

le grignoter.

– Tu es dégoûtante, dit-elle

à haute voix.

Non, elle n’était pas dégoûtante,

naturellement ; elle était tout simplement enceinte. C’était comme ça. La

semaine prochaine, elle aurait furieusement envie d’un sandwich aux oignons. Avec

du raifort par-dessus.

Elle s’arrêta, étonnée de n’avoir

pas pensé depuis si longtemps à son « état ». Jusque-là, l’idée lui

trottait constamment dans la tête, je suis enceinte, n’importe quand, n’importe

où, comme une saleté qu’elle aurait constamment oubliée de nettoyer : il

faut absolument que je porte cette robe bleue au teinturier avant vendredi (encore

quelques mois, et je peux oublier pour de bon, parce que je suis enceinte).

Je crois que je vais prendre une douche (dans quelques mois, ce sera une

baleine qui prendra sa douche, parce que je suis enceinte). Je devrais

faire la vidange d’huile, avant que les pistons fondent comme du beurre (et je

me demande ce que penserait Johnny, le garagiste, s’il savait que je suis enceinte).

Peut-être commençait-elle à se faire à cette idée. Après tout, elle était déjà

enceinte de près de trois mois. Presque un tiers du chemin.

Pour la première fois, elle se

demanda avec une certaine inquiétude qui allait l’aider à accoucher.

De derrière la

maison des Lauder s’élevait le cliquetis régulier d’une tondeuse à main. Et

lorsque Fran arriva au coin de la rue, le spectacle qu’elle découvrit était si

étrange qu’elle aurait éclaté de rire si sa surprise n’avait pas été totale.

Harold, dans un minuscule bikini

bleu, tondait la pelouse. Sa peau blafarde était luisante de sueur ; ses

longs cheveux retombaient en mèches grasses sur son cou (encore que l’honnêteté

oblige à dire qu’ils avaient été lavés dans un passé pas trop lointain). Des

bourrelets de graisse ballottaient furieusement au-dessus de l’élastique du

slip. Ses pieds étaient verts jusqu’aux chevilles. Son dos avait pris une teinte

rougeâtre – fatigue ou début de coup de soleil, elle n’aurait su le dire.

Mais Harold ne se contentait pas

de tondre le gazon ; il courait. La pelouse des Lauder descendait

en pente douce jusqu’à un petit mur de pierres sèches. Au milieu du jardin s’élevait

la pergola octogonale où Amy et elle jouaient à la dînette quand elles étaient

petites. Frannie s’en souvint tout à coup et cette image lui fit mal. L’époque

où elles pleuraient toutes les deux en lisant des romans d’amour, où elles

gloussaient en parlant du beau Chuckie Mayo, le plus beau garçon du lycée. Verte

et sereine, la pelouse des Lauder avait quelque chose de très britannique. Mais

un derviche en bikini bleu avait envahi cette scène pastorale. Harold haletait

de façon inquiétante quand il prit l’angle nord-est, là où la pelouse des

Lauder était séparée de celle des Wilson par une haie de mûriers. Il dévalait

la pelouse, couché sur le guidon de la tondeuse. Les lames ronflaient, projetant

un gros jet vert sur les tibias de Harold. Il avait peut-être tondu la moitié

du gazon ; il ne restait plus qu’un carré de plus en plus petit avec la

pergola en plein milieu. Il arriva en bas de la pente, puis remonta à toute

allure, un instant caché par la pergola, reparut ensuite couché sur sa machine,

comme un pilote de formule 1. À peu près à mi-pente, il l’aperçut. Au même

instant, Frannie l’appelait timidement. Elle vit qu’il pleurait.

Harold poussa un cri. Elle l’avait

surpris en plein rêve et elle crut que le choc allait terrasser le gros garçon,

victime d’une crise cardiaque.

Mais il se mit à courir vers la

maison en faisant voler les débris de gazon sous ses pieds. Et elle eut

vaguement conscience de la douce odeur de l’herbe fraîchement coupée dans la

chaleur de ce bel après-midi d’été.

Elle fit un pas.

– Harold, qu’est-ce qui ne

va pas ?

Il montait quatre à quatre les

marches du perron se précipitait à l’intérieur, claquait la porte derrière lui.

Dans le silence qui suivit, un geai poussa un cri strident et un petit animal

se mit à trottiner dans les buissons, derrière le mur de pierres sèches. La

tondeuse abandonnée était là, en plein milieu de la pelouse, pas très loin de

la pergola où elle et Amy sirotaient élégamment leur limonade dans de

minuscules tasses à thé, le petit doigt levé en l’air, comme des dames.

Indécise, Frannie attendit un peu,

puis alla frapper à la porte. Pas de réponse. Mais elle entendait Harold

pleurer.

– Harold ?

Toujours pas de réponse. Et les

sanglots continuaient.

Elle entra, s’avança dans le

vestibule des Lauder qui était sombre, frais, plein de bonnes odeurs – Mr Lauder

rangeait ses provisions dans une petite pièce qui s’ouvrait sur la gauche du

corridor. Aussi loin que Frannie pouvait se souvenir, il y avait toujours eu

ici cette bonne odeur de pomme et de cannelle, comme une odeur de tarte sortant

du four.

– Harold ?

Elle alla dans la cuisine. Harold

était là, assis derrière la table, la tête entre les mains, ses pieds tout verts

sur le linoléum usé que Mme Lauder lavait tous les jours à

grande eau.

– Harold, qu’est-ce qui ne

va pas ?

– Va-t’en ! hurla-t-il

entre deux sanglots. Va-t’en, tu ne m’aimes pas !

– Mais si, Harold. Tu es un

brave type. Peut-être pas Superman, mais tu n’es pas mal quand même. En fait, reprit-elle

après un instant d’hésitation compte tenu des circonstances, je dois dire qu’en

ce moment tu es certainement l’une des personnes que j’aime le plus au monde.

Cette réflexion parut faire

redoubler les sanglots de Harold.

– Tu n’aurais pas quelque

chose à boire ?

– Du jus d’orange, répondit-il

en reniflant et en s’essuyant le nez. Mais il est tiède. Et puis c’est pas du

vrai. Un de ces trucs en poudre.

– Ça ne fait rien. Tu as

pris l’eau à la pompe municipale ?

Comme beaucoup de petites villes,

Ogunquit avait encore sa pompe municipale, derrière l’Hôtel de ville. Depuis

quarante ans, elle était là plus pour le décor qu’autre chose. Les touristes la

photographiaient souvent. Et voilà la pompe du village où nous avons passé nos

vacances. Oh, comme c’est charmant !

– Oui…

Elle servit deux verres et s’assit.

Nous aurions dû nous installer sous la pergola pensa-t-elle. On aurait pu

boire en levant le petit doigt, comme des dames.

Qu’est-ce qui ne va

pas, Harold ?

Harold poussa un étrange rire

hystérique, chercha son verre à tâtons, le vida d’un seul coup.

– Ce qui ne va pas ? Mais

tout va très bien, madame la marquise.

– Je veux dire, quelque

chose en particulier ?

Elle goûta le jus d’orange et

réprima une grimace.

Ce n’était pas qu’il était tiède.

Harold avait sans doute oublié de faire couler l’eau. Et il n’avait pas mis de

sucre.

Finalement, il leva les yeux, le

visage ruisselant de larmes.

– Ma mère me manque, dit-il

d’une voix étranglée.

– Oh, mon pauvre Harold…

– Quand c’est arrivé, quand

elle est morte, je me suis dit que ce n’était pas si terrible.

Il tenait son verre à deux mains,

la fixait avec un regard intense, hagard, un peu terrifiant.

– Tu dois me trouver

monstrueux. Mais je n’avais jamais imaginé ma réaction. Je suis très sensible, tu

sais. C’est pour cette raison que j’ai toujours été persécuté par ces crétins

du musée des horreurs que nos édiles ont l’audace d’appeler un lycée. Je

croyais que la disparition de mes parents me rendrait fou de chagrin, ou du

moins que je serais incapable de rien faire pendant une bonne année… Que mon

soleil intérieur, pour ainsi dire… s’éteindrait. Et quand c’est arrivé, ma mère…

Amy… mon père… je me suis dit que finalement ce n’était pas si terrible… je… ils…

Il donna un coup de poing sur la

table. Elle sursauta.

– Pourquoi suis-je incapable

de dire ce que j’ai sur le cœur ? hurlait-il. J’ai toujours su exprimer ma

pensée. Un écrivain possède l’art de sculpter les mots, de ciseler la langue, alors,

pourquoi suis-je incapable de dire ce que je ressens ?

– Ne t’en fais pas, Harold. Je

sais ce que tu sens.

Il la regarda, médusé.

– Tu sais… ? Non, c’est

impossible.

– Tu te souviens quand tu es

venu me voir ? Je creusais la tombe. J’avais pratiquement perdu la tête. La

moitié du temps, je ne savais même pas ce que je faisais. J’ai essayé de faire

des frites et j’ai failli mettre le feu à la maison. Alors, si ça te fait du

bien de tondre la pelouse, vas-y. Mais tu vas attraper un coup de soleil si tu

restes en slip de bain. D’ailleurs, tu en as déjà un, ajouta-t-elle en jetant

un coup d’œil critique sur ses épaules.

Pour être polie, elle prit une

petite gorgée de cet horrible jus d’orange.

– Je ne les ai jamais

vraiment aimés, reprit Harold en s’essuyant la bouche. Mais j’ai cru que le

chagrin était une chose inévitable. Comme quand ta vessie est pleine, il faut

bien uriner. Si tes parents meurent, il faut bien avoir du chagrin.

Elle hocha la tête, pensant que l’idée

était étrange, mais pas tout à fait fausse.

– Ma mère ne s’occupait que

d’Amy. Elle s’entendait bien avec elle. Moi, je faisais horreur à mon père.

Fran comprenait facilement

pourquoi. Brad Lauder était un énorme gaillard, tout en muscles, contremaître à

la filature de Kennebunk. Et il s’était sûrement demandé ce qu’on pourrait bien

faire de ce gros garçon bizarre qu’il avait engendré.

– Un jour, il m’a pris à

part pour me demander si je n’étais pas pédé. C’est exactement le mot qu’il a

employé. J’ai eu si peur que je me suis mis à pleurer. Il m’a donné une gifle

en me disant que, si je devais rester un bébé toute ma vie, je ferais mieux de

prendre mes cliques et mes claques. Et Amy… je crois qu’elle s’en foutait comme

de l’an quarante. Je lui faisais honte quand elle amenait ses amies à la maison.

Elle me traitait comme une vieille savate.

Fran fit un effort pour terminer

son jus d’orange.

– Alors, quand ils sont

morts et que je n’ai senti ni chaud ni froid, je me suis dit que je m’étais

trompé. Non, le chagrin n’est pas un réflexe automatique, me suis-je dit. Mais

je me suis encore trompé. Ils me manquent de plus en plus, tous les jours un

peu plus. Surtout ma mère. Si je pouvais simplement la voir… Souvent, elle n’était

pas là quand j’avais besoin d’elle… Elle était trop occupée avec Amy. Mais elle

n’a jamais été méchante avec moi. Alors, ce matin, quand j’y ai repensé, je me

suis dit : « Je vais tondre la pelouse. Ça m’empêchera de trop

réfléchir. » Ça n’a pas marché. Et je me suis mis à tondre de plus en plus

vite… comme pour laisser tout ça derrière moi… et c’est à ce moment-là que tu

es arrivée. Tu as cru que j’étais fou, Fran ?

– Mais non, c’est normal, Harold,

dit-elle en lui prenant la main.

– Tu es sûre ?

Il la regardait à nouveau avec

ses yeux enfantins.

– Tu veux bien être mon amie ?

– Oui.

– Merci, mon Dieu. Merci.

La main de Harold était moite. À l’instant

où elle le remarquait, il la retira à regret, comme s’il avait lu dans ses

pensées.

– Veux-tu encore un peu de

jus d’orange ? demanda-t-il timidement.

C’était le moment de se montrer

diplomate.

– Peut-être un peu plus tard,

répondit-elle avec un beau sourire.

Ils

pique-niquèrent dans le square : sandwichs au beurre d’arachides et à la

confiture, deux grandes bouteilles de Coca-Cola mises à rafraîchir dans la mare

aux canards.

– J’ai pensé à ce que j’allais

faire, dit Harold. Tu ne veux plus de ton sandwich ?

– Non, j’en ai assez.

Harold n’en fit qu’une bouchée. Son

chagrin tardif ne lui avait pas coupé l’appétit se dit Frannie, mais elle s’en

voulut aussitôt d’avoir eu cette idée.

– Qu’est-ce que tu comptes

faire ?

– Je pensais m’en aller dans

le Vermont. Tu voudrais venir avec moi ? demanda-t-il, un peu gêné.

– Pourquoi le Vermont ?

– Eh bien, parce qu’il

existe un centre de recherches sur les maladies contagieuses, dans une petite

ville qui s’appelle Stovington. Moins important que celui d’Atlanta, mais

beaucoup plus près. S’il y a encore des survivants et si on fait toujours des recherches

sur cette grippe, il devrait y avoir pas mal de monde là-bas.

– Mais ils sont sans doute

morts.

– Peut-être, répondit Harold,

d’un ton un peu pincé. Mais dans un centre comme celui de Stovington, ils sont

habitués à travailler sur les maladies contagieuses, ils sont habitués à

prendre des précautions. Si le centre fonctionne toujours, je suppose qu’on a

besoin de gens comme nous. Des gens immunisés.

– Et comment sais-tu tout ça,

Harold ? lui demanda-t-elle sans cacher son admiration.

Harold rougit de plaisir.

– Je lis beaucoup. On parle

de ces centres un peu partout, ce n’est pas un secret. Alors, qu’est-ce que tu

en penses ?

Elle trouva que c’était une

excellente idée, une idée qui satisfaisait son désir inconscient d’une

structure, d’une autorité. Elle voulut ignorer ce que lui avait dit Harold, que

les chercheurs risquaient d’être tous morts. Ils allaient partir pour Stovington,

on leur ferait passer des tests, on finirait par découvrir pourquoi ils n’avaient

pas attrapé cette maladie, pourquoi ils n’étaient pas morts. Elle ne pensa pas

à se demander à quoi pourrait bien servir un vaccin à ce stade.

– Il faudrait trouver des

cartes et voir quel est l’itinéraire le plus court.

Le visage de Harold s’illumina. Elle

crut qu’il allait l’embrasser et, en cet instant précis, elle l’aurait sans

doute laissé faire. Mais le moment passa et, rétrospectivement, elle n’en fut

pas fâchée.

Sur la carte, tout

paraissait très simple. Nationale 1 jusqu’à l’autoroute 95, autoroute 95 jusqu’à

la nationale 302, ensuite au nord-ouest sur la 302, les lacs de l’ouest du

Maine, le New Hampshire toujours sur la même route, et puis le Vermont. Stovington

n’était qu’à cinquante kilomètres à l’ouest de Barre, soit par la nationale 61,

soit par l’autoroute 89.

– Combien de kilomètres en

tout ? demanda Fran.

Harold prit une règle, mesura, puis

consulta l’échelle.

– Tu ne vas pas me croire.

– Combien ? Cent

cinquante kilomètres ?

– Plus de cinq cents.

– Zut, tu viens de m’enlever

une illusion. J’avais lu quelque part qu’on pouvait traverser la Nouvelle-Angleterre

à pied en un seul jour.

– C’est exact, mais il y a

un truc, répondit Harold en reprenant sa voix professorale. Il est effectivement

possible de faire quatre États – Connecticut, Rhode Island, Massachusetts et l’extrême

sud du Vermont – en vingt-quatre heures, à condition de choisir très bien son

itinéraire, mais c’est un peu comme ces devinettes avec des bouts d’allumettes

– facile si tu connais la solution, impossible autrement.

– Mais où as-tu trouvé ça ?

– Dans le Guiness, le Grand

Livre des records, l’inévitable bible du lycée d’Ogunquit. En fait, je pensais

partir en bicyclette. Ou… Je ne sais pas… Peut-être en scooter.

– Harold, tu es un génie !

Harold toussa modestement, rougit

un peu.

– Nous pourrions aller en

bicyclette jusqu’à Wells, demain matin. Il y a un concessionnaire Honda là-bas…

Tu saurais conduire une Honda, Fran ?

– Je vais apprendre, si on

ne roule pas trop vite au début.

– Je ne crois pas qu’il

serait très prudent de faire de la vitesse, répondit Harold tout à fait sérieusement.

Un virage sans visibilité, et on risque de tomber sur trois voitures

accidentées en travers de la route.

– Tu as raison. Mais

pourquoi attendre demain ? Pourquoi ne pas partir aujourd’hui ?

– Il est plus de deux heures.

Nous ne pourrions pas aller beaucoup plus loin que Wells, et nous devons nous

équiper. Ce sera plus facile ici, à Ogunquit, parce que nous connaissons tous

les magasins. Et nous aurons naturellement besoin d’armes, naturellement.

Bizarre. Dès qu’il avait prononcé

ce mot, elle avait pensé au bébé.

– Pourquoi des armes ?

Il la regarda un moment, puis

baissa les yeux. Une plaque rouge grandissait sur son cou.

– Parce qu’il n’y a plus de

police, plus de tribunaux. Tu es une femme, tu es jolie, et certaines personnes…

certains hommes… pourraient bien ne pas… ne pas se tenir très bien. Voilà la

raison.

La plaque rouge était presque

violette maintenant.

Il parle de viol, pensa-t-elle. De

viol. Mais comment quelqu’un pourrait vouloir me violer ? Je

suis enceinte. Il est vrai que personne ne le savait, même pas Harold. Et

si elle annonçait la nouvelle au violeur potentiel : Voudriez-vous ne

pas me violer s’il vous plaît, je suis enceinte, pouvait-elle raisonnablement

espérer que l’autre lui réponde : Oh, excusez-moi madame, je vais aller

violer quelqu’un d’autre ?

– D’accord. Il nous faut des

armes. Mais on pourrait quand même aller jusqu’à Wells aujourd’hui.

– J’ai encore quelque chose

à faire ici.

Le toit de

tôle de la grange de Moses Richardson était brûlant. Elle était déjà en sueur

quand ils étaient arrivés au grenier à foin mais lorsqu’ils atteignirent la

dernière marche de l’escalier branlant qui menait au toit, des rigoles de sueur

inondaient son chemisier, soulignant le relief de ses seins.

Harold était armé d’un pot de

peinture et d’un gros pinceau, encore enveloppé dans son emballage de plastique.

– Tu crois vraiment que c’est

nécessaire, Harold ?

– Je n’en sais rien. Mais la

grange donne sur la route 1. À mon avis, c’est par là que les gens viendront, s’ils

viennent. De toute façon, ça ne peut pas faire de mal.

– Sauf si tu te casses la

figure. À moins que tu ne sois plus capable de rien sentir du tout.

Elle avait mal à la tête à cause

de la chaleur et le Coca qu’elle avait englouti au déjeuner remuait dans son

estomac d’une façon extrêmement désagréable.

– Je n’ai pas l’intention de

tomber dit Harold en lui jetant un coup d’œil. Fran, tu as l’air malade.

– C’est la chaleur.

– Alors descends. Allonge-toi

sous un arbre. Et regarde bien la mouche humaine exécuter son numéro de

trompe-la-mort sur la terrible pente à dix degrés du toit de la grange de Moses

Richardson.

– Ne te moque pas de moi. Je

trouve que c’est une idée idiote. Et dangereuse.

– Oui, mais je me sentirai

quand même mieux quand je l’aurai fait. Allez, descends, Fran.

Et elle pensa : Mon Dieu,

il fait tout ça pour moi.

Il était debout, ruisselant de

sueur, terrorisé, de vieilles toiles d’araignée collées sur ses épaules grasses

et nues, son ventre retombant comme une outre sur la ceinture de ses jeans trop

serrés, résolu à ne pas manquer une seule chance, à faire tout ce qu’il fallait

faire.

Elle se dressa sur la pointe des

pieds et l’embrassa sur la bouche, du bout des lèvres.

– Fais attention.

Puis elle redescendit l’escalier

à toute vitesse, le Coca ballottant dans son ventre, jouant les montagnes

russes, beeeerk. Elle était descendue très vite, mais pas assez pour ne pas

voir ses yeux s’éclairer de bonheur. Elle descendit encore plus vite l’échelle

qui menait du grenier au sol couvert de paille de la grange, plus vite parce qu’elle

savait qu’elle allait bientôt vomir, et même si elle savait que c’était

à cause de la chaleur, du Coca et du bébé, qu’allait penser Harold s’il l’entendait ?

Il fallait qu’elle sorte, qu’elle s’éloigne le plus possible, assez loin pour

qu’il ne puisse pas l’entendre. Ce qu’elle fit. Mais il était grand temps.

Harold

redescendit à quatre heures moins le quart. Son dos était maintenant écarlate, ses

bras mouchetés de peinture blanche. Fran avait fait la sieste sous un orme, dans

la cour des Richardson sans jamais tout à fait s’endormir, attendant d’un

instant à l’autre le craquement des chevrons et le cri d’horreur de ce pauvre

gros Harold quand il tomberait du haut des trente mètres qui séparaient le toit

de la grange du plancher des vaches. Mais il n’y eut pas de craquement – grâce

à Dieu – et il s’avançait fièrement vers elle, les pieds verdis, les bras

blancs, les épaules rouges comme des tomates bien mûres.

– Dis, pourquoi as-tu

redescendu le pot de peinture ? lui demanda-t-elle, curieuse.

– Je ne voulais pas le

laisser là haut. La combustion spontanée, ça arrive.

À nouveau, elle pensa qu’il ne

voulait vraiment rien laisser au hasard. Son perfectionnisme avait quelque

chose d’un peu effrayant.

Ils regardèrent tous les deux le

toit de la grange. La peinture fraîche scintillait sur le vert terni de la tôle.

Fran se souvint de ces messages qu’on voit parfois dans le sud, peints sur le

toit des granges – JÉSUS MON SAUVEUR ou TABAC À CHIQUER RED INDIAN.

PARTIS À STOVINGTON, VERMONT

CENTRE

MALADIES INFECTIEUSES

NATIONALE

1 JUSQU’À WELLS

AUTOROUTE

95 JUSQU’À PORTLAND

NATIONALE

302 JUSQU’À BARRE

AUTOROUTE

89 JUSQU’À STOVINGTON

DÉPART

D’OGUNQUIT 2 JUILLET 1990

HAROLD

EMERY LAUDER

FRANCES

GOLDSMITH

– Je ne

savais pas ton deuxième prénom, dit Harold, comme pour s’excuser.

– Ça ne fait rien, répondit

Frannie qui regardait toujours le message.

La première ligne était écrite

tout en haut du toit – la dernière, son nom à elle, juste au-dessus de la

gouttière.

– Et comment tu as fait pour

la dernière ligne ?

– Très facile, suffisait de

laisser pendre un peu les pieds dans le vide, c’est tout.

– Oh, Harold ! Il

suffisait d’écrire ton nom.

– Mais on fait équipe, non ?

dit-il en regardant Frannie avec un peu d’appréhension.

– Oui, bien sûr… Tant que tu

ne te casses pas le cou. Tu as faim ?

– Une faim de loup, répondit-il,

rayonnant.

– Allons manger quelque

chose. Et je vais te mettre de la crème sur ton coup de soleil. Il faut que tu

te mettes une chemise, Harold. Tu ne vas pas pouvoir dormir ce soir.

– Je vais dormir comme un

bébé, répondit-il en souriant.

Frannie lui rendit son sourire.

Ils ouvrirent une boîte de

conserve pour leur dîner, et Frannie prépara du faux jus d’orange, sans oublier

le sucre. Plus tard, la nuit déjà tombée Harold revint chez Fran en portant

quelque chose sous le bras.

– C’était celui d’Amy. Je l’ai

trouvé dans le grenier. Je pense que c’était un cadeau de maman et de papa, quand

elle a terminé sa troisième. Je ne sais pas s’il marche encore, mais j’ai

trouvé des piles à la quincaillerie.

C’était un tourne-disques

portatif en plastique, le genre de machine que les adolescents de treize ou

quatorze ans emportaient sur la plage pour faire jouer leurs 45 tours – Osmonds,

Leif Garrett, John Travolta, Shaun Cassidy. Fran le regarda attentivement, et

ses yeux se remplirent de larmes.

– On va voir s’il fonctionne.

Il fonctionnait. Pendant près de

quatre heures, sagement assis sur le canapé, le tourne-disque posé sur la table

basse devant eux, leurs visages éclairés par une fascination silencieuse et

douloureuse, ils écoutèrent la musique d’un monde mort remplir le vide de cette

nuit d’été.

 

le fléau
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